Lettre de l’ACP, de la SPQ et de l’AAP dénonçant la fin des programmes de philosophie à l’Université Laurentienne

Lettre de l’ACP, de la SPQ et de l’AAP dénonçant la fin des programmes de philosophie à l’Université Laurentienne

30 avril 2021

Voici la lettre conjointe de l’Association Canadienne de Philosophie (ACP), de la Société de philosophie du Québec (SPQ) et de l'Association Américaine de Philosophie (AAP) dénonçant la fin des programmes de philosophie à l'Université Laurentienne.

À Monsieur Robert Haché, Recteur
Université Laurentienne
Montréal, le 26 avril 2021

 

Cher Monsieur Robert Haché,
 

En tant que présidente et vice-présidente de l’Association Canadienne de Philosophie (ACP), l’association savante bilingue rassemblant les philosophes du Canada et comportant près de 600 membres à travers le pays, en tant présidente de la Société de Philosophie du Québec (SPQ), qui compte 175 membres, et en tant directrice exécutive et président du conseil d’administration de l’Association Américaine de Philosophie (AAP), qui compte plus que 8000 membres à travers le monde, nous vous écrivons pour vous demander de reconsidérer votre double décision de mettre un terme aux programmes de philosophie au sein de votre institution et de licencier les professeurs de philosophie qui dispensent ces cours, de manière à ce qu’à compter de la mi-mai, ils se retrouveront sans emploi. Cette situation est particulièrement déplorable du fait de l’absence d’une convention collective susceptible de protéger les employés de votre institution, les licenciements ayant eu lieu alors que la négociation de la nouvelle convention collective était en cours.

L’ACP, la SPQ, et l’AAP sont très préoccupées par la procédure de restructuration de l’Université Laurentienne, une institution dont les valeurs mises en évidence comportent l’excellence en recherche et innovation et dont l’ambition est de constituer un milieu d’apprentissage bilingue et multiculturel. Ces valeurs semblent difficilement compatibles avec la restructuration en cours. En effet, en se prévalant de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, le risque est de voir se perdre le statut d’institution du savoir et de la culture de votre établissement, et de réduire au statut de simple commodité les biens publics essentiels que sont le savoir, la culture et leur transmission. En particulier, c’est seulement en accordant un statut privilégié à la promotion du savoir et de sa transmission qu’il est possible d’assurer le développement de notre société, au sein de laquelle l’économie du savoir joue un rôle grandissant et dont
l’épanouissement dépend étroitement de la richesse et la diversité culturelle.

L’ACP, la SPQ, et l’AAP s’inquiètent de la fermeture de pas moins de soixanteneuf programmes de premier et de deuxième cycles, parmi lesquels près de la moitié sont francophones. En effet, cette restructuration, qui touche 48% des programmes francophones, menace directement les acquis de la minorité francophone du nord de l’Ontario, mettant en péril des valeurs clés de l’Université Laurentienne, soit le
bilinguisme et le multiculturalisme. En tant que regroupements de philosophie, c’est principalement la situation des programmes de philosophie qui nous préoccupe. Il est difficile de surestimer l’importance de l’enseignement de la philosophie. La philosophie est une discipline absolument fondamentale, dont l’exercice contribue de manière essentielle à la capacité de réfléchir de manière critique, de communiquer de façon constructive et argumentée ainsi que celle de déployer des raisonnements éthiques dont nous avons tant besoin. Plus que toutes autres disciplines, l’étude de la philosophie prépare les étudiants à devenir des citoyens et des leaders engagés et responsables, capables de contribuer de manière importante à la bonne marche de nos sociétés.

Cela est d’autant plus vrai dans le contexte économique actuel, marqué par la pandémie de COVID-19. En effet, ce contexte se prête à la valorisation d’une éducation qui est arrimée aux réalités du marché et permettant une rapide insertion dans le marché du travail. De ce point de vue, la philosophie constitue sans doute une des meilleures, sinon la meilleure option, pour de futurs étudiants en sciences humaines. Les habiletés acquises en étudiant la philosophie, qui sont fortement valorisées par les employeurs, permettent en effet à un employé de s’adapter rapidement aux conditions évolutives du marché. La capacité de réfléchir de manière critique, d’analyser les problèmes de manière logique et de trouver des solutions créatives, ainsi que les aptitudes communicationnelles sont de précieux outils pour relever les nouveaux défis auxquels notre société est constamment confrontée.

Il est bien sûr naturel de vouloir prendre des décisions administratives sur la base des données concernant le coût des études et les taux d’inscription. Toutefois, il faut voir que ces données sous-estiment grandement la valeur des programmes de philosophie offerts par l’Université Laurentienne. La philosophie joue non seulement un rôle crucial pour la formation d’étudiants spécialisés en philosophie, mais elle contribue grandement aux programmes offerts par votre institution dans leur ensemble. En effet, de nombreux étudiants bénéficient des cours de service offert par les professeurs de philosophie. Ces cours, qui comportent par exemple le PHIL2876 EL Business Ethics, un cours obligatoire dans le programme de baccalauréat en Sports Administration, et le PHIL 3346 FL Bioéthique : Pour les professionnels de la santé, qui est obligatoire dans le programme de baccalauréat en Sciences Infirmières. Dans l’ensemble, ces cours de service permettent
aux étudiants de l’Université Laurentienne d’obtenir une formation complète dans le cadre d’une variété de diplômes menant à de nombreuses carrières fructueuses.

Par ailleurs, l’ACP, la SPQ, et l’AAP s’inquiètent aussi du fait qu’en mettant fin à l’entente de fédération avec l’Université Huntington, l’Université Thorneloe et l’Université de Sudbury et en se retirant des programmes conjoints avec l’Université de Sudbury, l’Université Laurentienne met en péril les programmes de philosophie et partant les postes des professeurs de philosophie de cette autre institution. Il serait regrettable que par un effet domino, la recherche et l’enseignement de la philosophie disparaissent entièrement du nord de l’Ontario.

Au nom de la mission de recherche et d’enseignement de votre institution, mais aussi au nom des communautés dans lesquelles cette mission s’inscrit, nous souhaitons formuler la revendication suivante : que l’enseignement de la philosophie sur le campus de l’Université Laurentienne soit rétabli et que les licenciements des collègues en philosophie soient annulés. Plus généralement, nous recommandons la reprise de l’entente avec vos universités partenaires, telle que l’Université de Sudbury.

En restant à votre disposition pour plus d’information, veuillez recevoir, cher Monsieur Robert Haché, l’expression de nos sentiments les plus respectueux.

Christine Tappolet, Présidente de l’ACP
Jennifer Nagel, Vice-présidente de l’ACP
Dany Rondeau, Présidente de la SPQ

Dominic McIver Lopes FRSC, Amy Ferrer, Directrice Exécutive de l’AAP
Président, Conseil d’administration de l’AAP

CC: Sheila Cote-Meek, Vice-rectrice associée, Susan Manitowabi, Vice-rectrice agrégée par interim, Shelley Watson, Vice-rectrice associée à l’apprentissage et à l’enseignement, Joël Dickinson, Vice-recteur associé à l’apprentissage et à l’enseignement, Tammy Egger,
Vice-recteur à la recherche

 

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